Nous avons le plaisir de vous informer que 5 projets portés ou co-portés par des membres de VALE ont été sélectionnés pour faire partie des axes « Matrimoines et patrimoines minorés » du programme SPHINX (ANR Horizon 2030) ou « canons artistiques, normes et évolutions » ».
1. « Les femmes et la pratique expérimentale dans les îles Britanniques (XVIIe et XVIIIe siècles) : pour une histoire alternative de l’émergence de la science moderne » (responsables: Line Cottegnies et Sandrine Parageau, HDEA UR 4086)
Alors que les femmes ont largement été occultées dans l’histoire de la philosophie et des sciences (au temps de la « philosophie naturelle »), l’histoire intellectuelle et l’histoire des pratiques culturelles, en se déportant de l’étude des systèmes, permettent d’appréhender la participation des femmes à la culture scientifique de la première modernité dans une perspective interdisciplinaire. Depuis les années 1980, dans les pays anglophones d’abord, puis plus largement, de nombreuses études et anthologies ont été consacrées à la pensée scientifique ou philosophique de ces femmes de la période moderne, telle qu’elle se manifeste dans leurs écrits, publiés ou non. Cette histoire des penseuses est en cours d’écriture. En revanche, l’histoire de la pratique scientifique de ces femmes reste à écrire. Parce qu’il est plus difficile d’en trouver trace dans les archives, mais aussi parce qu’elle prend des formes variées, cette pratique de la science a été largement ignorée jusqu’ici. Notre projet vise à contribuer à une histoire de l’émergence de la science moderne pour remettre au premier plan des penseuses et des praticiennes de la science invisibilisées parce qu’elles n’ont pas produit une œuvre systématique, mais qui se sont illustrées par une pratique de la science expérimentale, y compris dans leur quotidien (et l’ont transcrite). On s’appuiera pour cela sur les travaux de Jean-François Bert et Jérôme Lamy qui proposent une histoire matérielle de la science moderne pour interroger l’existence d’une histoire matérielle spécifiquement féminine des savoirs (Voir les savoirs : Lieux, objets et gestes de la science, Anamosa, 2021).
Qu’est-ce que pratiquer et penser la philosophie naturelle pour les femmes de l’époque moderne ? Comment les femmes, qui sont exclues des académies, pratiquent-elles la science ? On s’attachera aussi à démontrer dans ce projet que les femmes pratiquent la « science » de manière détournée. La pratique expérimentale ne se cantonne pas à la philosophie naturelle ; elle s’applique par extension à d’autres formes de pensée, comme la méditation (comme dans les méditations de Lady Mary Rich), ou s’écrit dans des genres littéraires qui peuvent devenir des expériences de pensée (thought experiments), qu’ils prennent la science en train de se construire comme sujet ou non : la poésie « scientifique » (Bradstreet, Cavendish, Hutchinson…) ; le roman « scientifique » et exploratoire pour Margaret Cavendish (The Blazing World), la comédie qui se moque des expérimentalistes pour Aphra Behn et ainsi commente la science en train de se faire (The Emperor of the Moon)… [mais pas seulement : est-il possible de traquer dans la littérature à sujet non-scientifique des « expériences de pensée » pertinentes pour notre étude ?]
2. « Programme AquarELLEs » (responsables: Anne-Valérie Dulac et Charlotte Ribeyrol)
Le programme AquarELLEs porte sur l’essor de l’aquarelle (entendu à la fois comme médium, genre et technique) entre les XVIe et XIXe siècles.
La périodisation retenue explore le développement de l’aquarelle depuis l’apparition du terme en Europe, qui voit éclore un genre nouveau, distinct de précédents usages de techniques de peinture à l’eau (dont les plus anciens remontent à l’Antiquité et ont été explorés sur bien d’autres continents que le seul continent européen). Il s’étend jusqu’à ce que l’on considère généralement comme l’âge d’or de l’aquarelle, au XIXe siècle, avant le grand tournant chromatique des années 1850 (avènement des premiers colorants synthétiques) et les débuts de la photographie. Cette période recouvre aussi les années les plus fastes en termes de production de traités et de manuels portant sur l’aquarelle.
Le programme AquarELLEs entend explorer les productions d’artistes professionnels mais également les usages amateurs et privés de l’aquarelle, qui révèlent la part importante qu’ont joué les femmes, notamment, dans l’histoire de l’aquarelle. Il s’agit de penser à nouveaux frais la part du “mineur” (ou ce qui est conçu comme tel) et de l’éphémère dans la constitution des patrimoines.
3. « Supports minorés de la poésie : cartes postales, cartes de vœux, affiches, dépliants, chapbooks et fanzines » (responsable: Juliette Utard et Olivier Belin, CELLF)
Comment les poètes ont-ils investi la carte postale, ce haïku du genre épistolaire ? Accusée d’être impudique (pas de mise sous enveloppe) ou ludique (notamment lorsque recto et verso se répondent), la carte postale offre à la poésie un support d’écriture à la fois miniature et minoré, qui préfigure le Short Message System du texto au Tweet. À l’occasion d’une exposition des cartes postales d’Elizabeth Bishop accueillie par la BIS au printemps 2026 (en partenariat avec les archives Bishop à Vassar College), nous chercherons à redécouvrir et revaloriser la carte postale comme laboratoire d’écriture chez les poètes des aires anglophones et francophones lors du colloque « Postcard Poetics » qui se tiendra à Sorbonne Université les 3, 4, 5 et 6 juin 2026. Au-delà de la carte postale, nous souhaitons poursuivre nos réflexions sur d’autres supports négligés voire invisibilisés de la poésie dans le patrimoine littéraire, comme les cartes de vœux ou d’invitation, les affiches, dépliants, chapbooks ou fanzines, qu’il s’agisse de poèmes manuscrits, de poèmes imprimés en série limitée par des éditeur·rices indépendant·e·s (à l’occasion de la sortie d’un recueil) ou par des galeristes (à l’occasion d’un événement : vernissage, lecture, performance) ou, au contraire, de poèmes produits en masse par de grands distributeurs à des fins de consommation (poèmes sur des emballages alimentaires, poèmes publicitaires, cartes de vœux Hallmark). Nous examinerons en particulier le lien entre ces supports minorés de la poésie et les minorités de genre, sexualité, race, classe et santé qui s’en sont emparées.
4. « Matrimoines postcoloniaux et diasporiques dans les arts minorés » (Responsable: Jaine Chemmachery et Marion Coste (UFR de littérature française et comparée)
Nous souhaitons nous intéresser à des productions émanant de champs d’études minorés à l’université (rap, cirque) et/ou dans la société civile (broderie, tissage) et voir quelles entreprises et performances y sont à l’œuvre. Outre leur minorisation institutionnelle, ces productions sont sujettes à d’autres formes de minorisation – ayant trait au moins aux questions de genre-gender et de race – qui seront au cœur de l’étude. On analysera comment elles réinvestissent ces espaces minorés, souvent dans une optique de subversion et de résistance. On songe ainsi aux entreprises numériques de visibilisation de matrimoines invisibilisés, sous la forme par exemple de musées en ligne élaborés par des sujets diasporiques (MEMORABILIA, HOME | Museum of Memories, Museum of Material Memory), ou aux démarches proposées par Mary Evers (Stitch Their Names Together) et Yasmin Jahan Nupur ( Yasmin Jahan Nupur – ‘Let me get you a nice cup of tea’ | Tate) pour visibiliser des pans de l’histoire coloniale, passée et présente, sur des supports considérés comme mineurs, précisément car ils ont été cantonnés aux sphères domestique et féminine. On s’intéressera en outre au rap féminin et/ou queer pour voir comment les artistes mobilisent ou détournent des imaginaires africains-américains issus du rap ou d’autres médias pour les subvertir afin de créer des modèles féminins/queer puissants, à l’image de la « trap mama » de Le Juiice ou de la « Jolie garce » de Shay. L’idée serait donc de regarder du côté de l’invention de traditions de p/matrimoines, en l’absence ou face à l’invisibilisation de ces derniers. Nous espérons ainsi montrer que les matrimoines minorisés circulent entre les médias, et construisent des filiations complexes. Nos travaux touchent donc à la question de la performance du soi de personnes/figures minorisées et des généalogies qu’elles construisent, inventent et/ou contre lesquelles elles se positionnent.
5. Projet Canon et Patrimoine « CanPat »
L’équipe du projet Émergence Canon Factory (2023-2025) se propose de développer et internationaliser ses travaux sur la fabrique et la remise en cause du canon littéraire en les articulant à la problématique connexe et fédératrice du patrimoine, au centre du projet SPHINX. Dans une perspective interdisciplinaire, puisque consacrée aux productions littéraires contemporaines (mais pas exclusivement) des aires anglophone, germanophone, néerlandophone et nordique, auxquelles on peut associer la littérature de langue française, la contribution de l’équipe CanPat au sous-axe 1.1 thématique « canons artistiques, normes et évolutions » peut se déployer selon trois grands axes, à l’interface des trois concepts :
- Patrimoine constitué et remis en question par les littératures de la migration et de la post-migration dans un contexte où le canon devient de plus en plus mondialisé (littératures post-/décoloniales, littératures de la (post)migration et pratiques décoloniales)
- Patrimoine littéraire et pratiques poétiques orales (spoken word / slam). Les pratiques poétiques orales, de plus en plus reconnues comme faisant partie du patrimoine culturel et immatériel, peinent à l’être comme littérature authentique et leur intégration au canon est contestée.
- Observer les reconfigurations du canon littéraire contemporain permet de penser sa mondialisation, ainsi que son ancrage grandissant dans des perspectives écologiques. Dans le domaine anglophone (au Royaume-Uni principalement), lenature writing est désormais un genre qui reprend le patrimoine culturel national et l’adapte aux perspectives culturelles contemporaines les plus pressantes (changement climatique et perspectives post et décoloniales). On pourra donc mettre en avant l’articulation entre prise en compte d’un patrimoine naturel et culturel, et adaptation à un canon culturel qui se complexifie.

