ESTHER : Esthétiques de la résilience dans le théâtre américain contemporain
Présentation du projet
En donnant au mot « résilience » son premier emploi scientifique pour caractériser le phénomène physique de l’écho rebondissant sur un mur (Sylva Sylvarum, 1627), Sir Francis Bacon était loin de se douter que le terme « rebondirait » lui-même d’une discipline à l’autre, jusqu’à devenir une pierre de touche culturelle du XXIe siècle, omniprésente et relativement polysémique. Ayant migré des sciences dures vers des usages établis en psychologie, sociologie ou géographie, la résilience s’impose aujourd’hui comme une « boîte à outils » (Tisseron), un « mot-clé » (Bracke) qui s’insinue dans le discours universitaire, les politiques publiques et la littérature de développement personnel, prêtant son nom à des initiatives locales, des opérations militaires et des applis anti-cancer. Le projet ESTHER se fonde sur une hypothèse de départ : le théâtre, art incarné et collectif, aux racines antiques et aux frontières élastiques, offre un aperçu révélateur de ce qu’on pourrait appeler le « tournant de la résilience » du XXIe siècle. Dans un monde soucieux de théoriser la capacité humaine à absorber les chocs (terrorisme, catastrophes climatiques), l’idée de résilience offre une modalité (ou un mirage ?) de réponse à nos anxiétés sur la pérennité du soi et du groupe au-delà du trauma. La scène contemporaine des États-Unis illustre ceci par une abondance de tropes résilients : corps survivant qui cicatrise, voix tenace du chant de deuil, collectif fracturé qui se reconstruit douloureusement. Les frontières du silence s’étirent ; la malléabilité du langage et de la graphie sont mises à l’épreuve, de même que l’endurance des acteurs et du public. Adoptant une perspective transatlantique et un programme alliant recherche traditionnelle et travaux créatifs, ESTHER vise à cartographier l’incidence de la résilience sur l’écriture dramatique et la performance aux États-Unis (XXIe), et propose en retour le théâtre comme prisme pour observer la résonance incarnée et symbolique de ce puissant concept culturel.
Objectifs et méthodologie
ESTHER se donne cinq grands objectifs : O1) conceptualiser la résilience pour et par le théâtre, en ayant soin d’identifier ses images et ses métaphores, O2) tracer les contours d’une poétique de la résilience dans les mots et les sons des pièces contemporaines (langue, images, tropes, dramaturgie), O3) explorer l’incarnation de la résilience dans ses implications pratiques et symboliques (corps individuels et collectifs, endurance, malléabilité), et O4) évaluer l’apport (ou le danger) de la résilience pour les questions de genre et d’ethnicité. Un objectif d’ensemble consiste également à O5) accroître la visibilité du théâtre américain en France, dans le milieu universitaire comme pour le grand public.
Interdisciplinaire et d’envergure transatlantique, ESTHER combine la recherche traditionnelle (étude de texte, de performance) à des pratiques créatives visant à repousser les frontières méthodologiques. Le projet invitera les chercheurs à monter sur scène, et les artistes à conduire des analyses, afin de perfectionner une approche incarnée de la recherche sur le théâtre, à travers son esthétique de la résilience et au-delà.